1. Le mythe de Tristan et Iseut est le produit d’une fusion entre civilisation courtoise et mythologique celtique, entre le sud et le nord de la France et même de l’Europe. Cette rencontre a pu se produire grâce à une femme, Alienor d’Aquitaine, personnage politique et littéraire hors du commun.
2. Civilisation courtoise Aliénor, duchesse d’Aquitaine, épouse en 1152 Henri Plantagenet, duc de Normandie et bientìt roi d’Angleterre sous le nom de Henri II. Elle était mariée depuis quinze ans à Louis VII roi de France mais son mariage avait été annulé pour inceste (en fait pour adultère durant la croisade à laquelle participait son époux). En 1154 la cour normande s’installe en Angleterre.
Aliénor est belle : blonde au teint clair, elle a le visage souriant et des yeux gris-bleus. A la cour de France elle choquait par ses décolletés vertigineux, son goût du luxe et des arts, ses confiseries et ses vins de Bordeaux. Par sa naissance et son éducation elle vient d’une civilisation raffinée,celle de la langue d’oc. Très cultivée, connaissant la littérature latine (surtout Ovide, le poète des amours), elle protège les poètes et les clercs. Elle encourage le développement de l’amour courtois. Contre un mariage réduit à une alliance économico – politique, la « fine amor » offre une compensation culturelle, érotique et affective : la dame exige de son chevalier servant un dévouement et une discrétion absolus. Les troubadours occitans célèbraient à l’envi cette femme merveilleuse.
La nouvelle duchesse de Normandie et reine d’Angleterre reprend les cours d’amour avec les trouvères du nord, donne une impulsion remarquable aux arts et à la littérature. Elle administre ses provinces avec compétence. Sa fille, Marie de Champagne va créer, elle aussi, à Troyes, une cour d’amour et protéger un grand poète, Chrétien de Troyes. C’est elle qui lui propose d’introduire l’adultère de Gueniève dans les romans de la Table Ronde.
3. Le roi Arthur et la Table ronde En 1135 Geoffroi de Monmouth publie une « Historia Regum Britannae ». En 1155 cette histoire des rois de Bretagne est traduite librement en vers d’oïl par un chanoine de Bayeux nommé Wace. On trouve dans cette chronique les exploits du roi Arthur. Henri II Plantagenêt songe à utiliser cette chronique pour légitimer sa lignée. Aliénor et sa cour sont séduites par la “Matiere de Bretagne”, ce vieux fond de faits, de légendes celtiques conservés et enrichis par les « Bretons » (Irlande, Pays de Galles, Petite Bretagne) avec des apports scandinaves.
Aussi les écrivains sont-ils invités à puiser largement dans ce fonds inexploité qui renouvelle l’inspiration latine et chrétienne. Ainsi vont naître les romans de la Table ronde et renaître, fortement marqués du merveilleux celtique, les hauts faits du roi Arthur et de ses chevaliers. Vers 1160 on commence à écrire sur Tristan et iseut. C’est un thème parfaitement scandaleux aux yeux de l’Eglise, de la féodalité, et de l’ordre établi mais tellement émouvant et romanesque ! Les autorités traquent toutes les œuvres qui abordent ce thème. C’est probablement pourquoi il n’en reste aujourd’hui, en français tout au
moins, que des fragments (Béroul, Thomas) ou des œuvres courtes (Le lai du « Chèvrefeuille » de Marie de France, « La Folie Tristan »). Le sommet de la production, l’œuvre majeure, le « Tristan et Iseut » de Chrétien de Troyes adisparu, probablement victime de la censure.
4. La mythologie celtique : Diarmaid et Grainné
La mythologie celtique est connue par les épopées irlandaises. Dans le cycle de Find se trouve la “Poursuite de Diarmaid et Grainné”, source principale de “Tristan et Iseut”.
Grainné s’aperçoit, le jour même de son mariage avec Find, le vieux chef, qu’elle aime Diarmaid, le neveu de ce dernier. Diarmaid est un grand chasseur mais il a aussi un « grain d’amour » : un grain de beauté qui a la propriété magique de le rendre irrésistible. Et Grainné a vu le grain de beauté ! Mais elle-même a un « tabou » : l’amour qu’elle connaîtra sera indissoluble. Elle poursuit Diarmaid de ses assiduités mais il résiste car oncle et neveu se portent une solide affection.
Furieuse, elle l’insulte et le met au défi d’oser l’enlever. Son honneur étant ainsi mis en jeu, Diarmaid s’exécute. Le scandale est énorme. Find les poursuit à travers l’Irlande. Cernés, ils se réfugient dans les hautes branches d’un sorbier, dont les baies donnent la jeunesse. Mais Angus, héros mythologique d’un autre cycle, protège les fuyards. Il sauve Grainné en la rendant invisible grâce à un manteau magique tandis que Diarmaid saute, d’un bond prodigieux, par-dessus l’armée ennemie.
Diarmaid n’a pas touché Grainné : il dort séparé d’elle par une lumière qui reste allumée toute la nuit à côté d’un plat de nourriture intacte. Ceci pour convaincre Find de sa bonne foi. Mais un jour que Grainné se baigne dans une rivière et que l’eau lui monte jusqu’au haut des cuisses, elle se moque de Diarmaid en l’accusant d’être moins audacieux que cette eau. Cette fois il devient son amant.
Grâce à Angus Find fait la paix avec son neveu. Ils chassent ensemble un sanglier qui blesse mortellement Diarmaid. Find pourrait le guérir en lui apportant de l’eau dans les paumes de ses mains. Il prétend d’abord ne pas connaître de source puis en la portant il la laisse fuir entre ses doigts. Quand il arrive près de Diarmaid celui-ci est mort. Grainné, pleure Diarmaid, excitant ses enfants à le venger (ce qui implique que toute cette histoire dure des années) puis elle accepte les avances de Find et part avec lui
Le souvenir des amours de Diarmaid et de Grainné est resté dans la tradition populaire. En divers points de l’Irlande, des dolmens portent encore le nom de « lit de Diarmaid et de Grainné ». (d’après G. Dottin « Les littératures celtiques » Payot 1923).
5. Transformation du mythe Diarmaid devient Tristan, Tristan = “triste homme”, à cause de son enfance solitaire et de sa destinée tragique. viendrait du celtique drest “bruit, tumulte”. Un ancien druide picte s’appelait Drunstan.
Grainné devient Iseut. Iseut vient du celtique Essyh “belle, agréable à voir” Lalégende galloise recueillie dans le Mabinogion mêle déjà les deuxnoms. Le grain d’amour et le tabou sont fondus dans le philtre d’amour. Tristan est
un guerrier et un joueur de harpe. Iseut connaît tous les remèdes même les plus secrets. .On ajoute le Morholt : c’est le roi d’Irlande et comme le Minotaure il exige un tribut en jeunes gens.
Du fait que les deux noms sont associés dans l’origine celtique, on peut penser que Tristan représente la force (physique, esthétique, morale) et Yseut la beauté. Il est normal qu’ils soient unis mais ils sont séparés par la raison d’Etat et le vasselage. Ce qui paraît injuste. D’où la protestation. Et on met Dieu du côté des amants. Quand ils meurent ils vont certainement au ciel…
6. Jean Lorrain Yseult (1882)
Loin des clameurs du monde et des cours dénigrantes
Yseult, la blanche Yseult, au fond d’un bois obscur
Avait rejoint Tristan et là, parmi l’air pur
Et l’ombre des halliers, pleins de voic attirantes,
Elle errait sans couronne, heureuse, indifférente,
Ses cheveux dénoués sur sa robe d’azur,
Les yeux ravis d’amour, enivrée, enivrante,
Buvant aux sources d’or et mordant au fruit mûr.
Le souci de leur faute et le soin de leur gloire,
Les bienfaits du roi Mark et l’oubli de leur cour,
Comme un songe d’avril avaient fui leur mémoire.
Les soirs, ils s’arrêtaient aux fontaines pour boire
Et les chênes aïeux qui savaient leur histoire
Les appelaient tout bas les proscrits de l’amour.
Jean Lorrain, Le sang des dieux, 1882 Ed Edouard-Joseph 1920 p. 33
7. L’éternel retour, film de Jean Delannoy (1944) “Patrice habite en Bretagne, chez son oncle Marc, qui est veuf. Gertrude Frossin, belle-sœur de Marc, son mari Amédée et leur fils, le nain Achille, vivent au chateau et détestent Patrice. Pour faire le bonheur de Marc, le jeune homme entreprend de lui trouver une nouvelle épouse. Dans une île de la côte, il rencontre la blonde Nathalie, qu’il arrache aux griffes d’une brute, Morolf. Patrice ramène Nathalie à Marc, qui l’épouse. Mais les jeunes gens sont attirés l’un vers l’autre et cèdent à leur amour en se croyant envoûtés par un philtre. La tribu Frossin cherche – et réussit à les faire surprendre par Marc.
Au plus noir de l’occupation allemande, Jean Cocteau – qui avait tourné en 1930, “Le sang d’un poète” – faisait sa rentrée au cinéma comme auteur, avec cette adaptation modernisée, poéstisée, de la légende de Tristan et d’Iseult. (…) Le film connut un succès foudroyant. Toute une génération adopta le couple idéal Jean Marias, Madeleine Sologne, le pull-over à dessins Jacquard de l’un, la coiffure aux longs cheveux plats de l’autre. Les spectateurs se reconnurent dans ces amants romantiques empêchés de s’aimer par les forces du mal et de la fatalité. Plus tard, à la grande suprise des Français, les critiques anglais relevèrent dans “L’éternel retour” des miasmes germaniques, du wagnérisme et l’influence sournoise du nazisme. Même si Cocteau a greffé sur la légende le thème de l’éternel retour des forces qui mènent le monde, emprunté à Nietszche (dont les nazis se réclamaient, il a vraiment tiré le film de son univers intérieur. Reste que l’œuvre, qui se voulait intemporelle, a mal vieilli (…)” (Jacques Siclier, Télérama, sans date).
Roger et Alii
Retorica
(9.400 caractères)